Écrit par Nancy Goyette, Ph. D., professeure et chercheure, Université du Québec à Trois Rivières
Nul n’est surpris d’apprendre qu’être enseignant est une profession complexe qui requiert le déploiement de plusieurs compétences allant au-delà de celles rattachées à l’acte d’enseigner. Particulièrement pour les enseignants de langues secondes, les défis sont loin d’être faciles, compte tenu des conditions de travail distinctes à plusieurs égards de celles d’enseignants d’autres disciplines : la tâche de certains les contraint à enseigner dans plusieurs écoles ou dans des groupes multiniveaux; ils sont en constante adaptation pédagogique avec des élèves d’un même groupe dont les compétences langagières diffèrent; et, surtout, leur prestation de travail dépend en grande partie du climat qu’ils réussissent à créer afin que les élèves soient à l’aise de s’exprimer dans une langue étrangère. Quoi qu’il en soit, les défis quotidiens parfois difficiles et la charge de travail parfois couplée à une charge émotionnelle ne sont pas des facteurs qui favorisent le bien-être au travail.
Pourtant, certains enseignants réussissent à évoluer dans les écoles en restant malgré tout passionnés de leur profession. Mais comment y arrivent-ils? C’est l’un des concepts que la psychopédagogie du bien-être – un nouveau champ en sciences de l’éducation qui conjugue psychologie positive et pédagogie – explore scientifiquement (Goyette et al., 2020). En effet, elle étudie l’apprentissage et l’accompagnement au bien-être dans les milieux éducatifs afin de favoriser l’épanouissement et le développement d’un plein potentiel chez les individus. Le bien-être est donc l’un des concepts charnières de ce champ.
Le bien-être, un concept complexe
Dans la foulée de la pandémie et devant l’importance du bien-être dans les établissements scolaires, ce concept émergent devient un moyen d’améliorer la réussite éducative. Cependant, bien que tous et chacun en aient une définition personnelle, la science apporte des éclairages intéressants qu’il faut prendre en compte dans l’élaboration de plans d’action dans les écoles pour s’assurer d’un consensus de l’équipe pédagogique afin de faire des choix judicieux en cohérence avec ses valeurs et les connaissances issues de la recherche. Certes, il n’y a pas de définition commune du bien-être puisqu’il est étudié sous différents angles, mais la théorie du bien-être de Martin Seligman (2011) est intéressante pour mieux comprendre cet enjeu.
Selon la théorie de Seligman, le bien-être se mesure selon cinq éléments : les émotions positives, l’engagement, les relations positives, le sens et l’accomplissement. En effet, les individus qui ressentent du bien-être ont tendance à exercer des activités volontaires pour reproduire l’un ou plusieurs de ces éléments. Par exemple, un enseignant pourrait organiser une activité parascolaire avec ses élèves puisqu’il trouve cela motivant et que l’engagement des élèves dans cette activité génère des émotions positives qui favorisent la cohésion du groupe. Un autre enseignant pourrait s’impliquer dans le comité social de son école pour développer des relations positives avec ses collègues et les membres du personnel puisque cela est essentiel pour lui d’évoluer dans un environnement de travail bienveillant.
En m’inspirant des travaux de Seligman, j’ai tenté d’explorer les éléments du bien-être prédominants chez des enseignants du primaire et du secondaire persévérants (Goyette, 2014). Les conclusions de cette recherche nous amènent à considérer que le bien-être dans l’enseignement s’élabore à partir du sens que confèrent les enseignants à leur vie professionnelle (2016). Autour de ce sens gravitent des éléments tels que les émotions positives, les relations positives, le sentiment de compétence, l’engagement professionnel et la passion de l’enseignement. Bien que ce dernier élément soit souvent associé aux enseignants que l’on considère compétents dans leur travail, est-il incontournable? Pour répondre à cette question, il est important de définir ce concept et de bien le situer en contexte d’enseignement.
Passionné de l’enseignement : un peu, beaucoup, à la folie?
La passion de l’enseignement est « une force motivationnelle qui conduit les enseignants à aimer et [à] valoriser leur travail dans lequel ils s’investissent entièrement et pour lequel ils développent une partie de leur identité » (Goyette, 2018). Or, le sens que l’on entretient à l’égard de notre profession peut être lié à la passion. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas. D’excellents enseignants ne sont pas toujours des passionnés inconditionnels de leur travail. Les travaux de Robert Vallerand (2015) sur le modèle dualiste de la passion pour une activité sont fort intéressants pour mieux comprendre que la passion n’est pas indispensable à une bonne prestation de travail.
En effet, Vallerand présente la passion selon deux types : la passion harmonieuse et la passion obsessive. Un individu qui ressent une passion harmonieuse sait préserver un équilibre dans toutes les sphères de sa vie telles que le travail, la vie familiale, la vie sociale, etc. Il a donc un engagement flexible dans une activité qui contribue à son bien-être et effectue les choses par plaisir et par choix.
Par contre, un individu qui ressent une passion obsessive pour une activité lui donne une place disproportionnée dans sa vie. Cette activité se fait souvent au détriment de son bien-être psychologique, émotionnel ou physique puisqu’il a un engagement rigide envers cette dernière. À cet égard, il faut mentionner que les deux types de passions sont vécus à divers degrés par les enseignants, ce qui influence plusieurs facteurs tels que la satisfaction au travail, le sentiment de compétence, le sentiment d’autoefficacité dans le cas d’une passion harmonieuse. Malheureusement, les enseignants qui ressentent une passion obsessive pour leur travail sont plus susceptibles de naviguer dans des ressentis désagréables alimentés d’une pression constante qui peuvent parfois entraîner un épuisement professionnel.
Pour conclure, la passion de l’enseignement est un élément qui aide à donner du sens à la profession pour certains enseignants, mais elle n’est pas essentielle pour être un bon enseignant. Pour favoriser le bien-être au travail, il est donc important d’établir un bon équilibre de vie et de prendre conscience des éléments qui nous procurent du bien-être pour affronter les défis quotidiens avec optimisme. Et si l’on est passionné de notre profession, il faut bien canaliser cette passion pour qu’elle reste harmonieuse afin de préserver notre santé mentale.
Visionner le webinaire de Nancy Goyette dans le Centre d’apprentissage de l’ACPLS pour apprendre des stratégies pour améliorer le bien-être dans l’enseignement.
Références
Goyette, N. (2014). Le bien-être dans l’enseignement : étude des forces de caractère chez des enseignants persévérants du primaire et du secondaire dans une approche axée sur la psychologie positive [Thèse de Doctorat inédite, Université du Québec à Trois-Rivières]. Trois-Rivières, Québec.
Goyette, N. (2016). Développer le sens du métier pour favoriser le bien-être en formation initiale à l’enseignement. Revue canadienne en éducation, 39(4), 1-29.
Goyette, N. (2018). La passion de l’enseignement et la préparation des futurs enseignants à la construction d’une identité professionnelle positive. Dans F. Dufour, C. V. Nieuwenhoven, L. Portelance & I. Vivegnis (dir.), Préparation à l’insertion professionnelle pendant la formation initiale en enseignement (p. 111-126). Québec : Presses de l’Université du Québec.
Goyette, N., Martineau, S., Gagnon, B., & Bazinet, J. (2020). Les effets d’une approche pédagogique préconisant la psychopédagogie du bienêtre sur la réussite éducative des élèves. Revue hybride de l’éducation, 4, 1-23.
Seligman, M. E. P. (2011). Flourish : A visionary new understanding of happiness and well-being. New York : Free Press.
Vallerand, R. J. (2015). The psychology of passion : A dualistic model. New York : Oxford University Press.